mercredi 3 mai 2017

Chapitre 1 - 3 ans d'errance


Chapitre 1

Je m'appelle Boby et je suis né le 2 décembre 2011 en Roumanie. 



Vous savez ce pays où un certain dictateur a dès les années 1980, abattu les maisons pour construire de grands immeubles où les animaux étaient interdits, la politique de "L'homme nouveau" ! 

Pendant des années, au fur et à mesure que les démolitions continuaient, les animaux abandonnés se multipliaient sans aucune contrainte, et le nombre des chiens errants a encore grandi dans la période suivant la chute du communisme. 



C'est dans ce contexte que je suis né. Où ? A quel âge m'a-t-on trouvé seul ou peut être avec des frères et sœurs errants comme moi dans la rue à la recherche de nourriture ? En tout cas je n'étais qu'un bébé. Qu'est devenue ma mère ?

J'ai certainement eu la chance dans ce pays où la mort rôdait à chaque angle de rue, d'avoir rencontré un jour des bénévoles qui m'ont emmené dans un "refuge", un endroit où nous étions si nombreux, où il fait si froid l'hiver faute de moyens et où la nourriture n'est pas distribuée tous les jours. J'ai survécu, rempli de l'insouciance de mon âge, d'une certaine innocence, de l'espoir de jours meilleurs et de ma confiance dans la vie.
Un jour, je venais d'avoir 4 mois, j'ai appris que j'avais une place dans un camion, avec ma sœur et plusieurs de mes amis du refuge qui m'emmènerait dans un autre pays, à l'ouest, un paradis me disait-on, là où on aime les chiens comme moi, là où ils ne sont plus chassés et menacés, là où ils n'ont ni froid, ni faim, ni peur, là où ils connaissent la douceur des caresses, la chaleur de coussins moelleux, le confort des canapés, les bonnes gamelles quotidiennes remplies à souhait. Des mots que je ne connaissais pas, mais j'imaginais que là où j'irai, chaque jour est comme un Noël de riche, illuminé de bonheur, de joie et de liberté. Mes yeux scintillaient de rêves fabuleux. 

Le Grand Jour est arrivé, en avril 2012. J'embarquais pour un très long voyage vers la France, avec dans mon bagage, l'espoir d'une vie nouvelle, mais aussi les craintes de découvrir un monde inconnu, et tant de questions.  



Nous sommes arrivés à 15 dans la même maison. Nous étions si nombreux que le "Home, sweet home" rêvé n'était en fait qu'une maison transformée en grand chenil où toutes les émotions se croisaient. Les plus curieux exploraient tout, les plus timides tentaient de cacher leurs craintes dans de petits coins, certains jappaient, d'autres grognaient, Et moi, je me blottissais contre ma sœur. Elle a eu de la chance elle, une famille l'avait adoptée . Seul de nouveau, les aboiements de mes compagnons de voyage irritant le voisinage, certains sont partis vivre "ailleurs" et moi je vivais dans un chalet au fond du jardin afin disait-on que je profite "d'un peu de liberté" ! 


Il était bien loin ce monde dont je rêvais et dont on m'avait parlé avant mon départ. 

Et puis un jour, on m'a annoncé que je devais quitter cet endroit où je vivais depuis 18 longs mois, pour aller vivre dans une famille. "D'accueil" m'a-t-on dit, donc provisoire. Où s'arrêtera mon chemin? Qui voudra de moi pour toujours ? Je n'avais alors que 2 ans et l'envie d'enfin mordre la vie à pleine dents. Je suis parti dans une maison  où j'avais des copains chiens, chats, volatiles, mais aussi des hommes qui malgré leur gentillesse, me faisaient très peur, mais je n'étais plus seul. 






https://www.facebook.com/1605270756391148/videos/1627128820872008/

Je ne suis pourtant pas resté longtemps, 2 mois 1/2, tout juste le temps de m'habituer, que déjà on me disait, sans ménagement, que j'allais quitter le Nord pour vivre en Normandie où une famille voulait m'adopter. Enfin un mot magique à mes oreilles. S'ils veulent m'adopter c'est qu'ils m'aiment déjà, que je trouverai donc le bonheur ! Je suis arrivé dans une famille près de Rouen, mon futur port d'attache. J'allais avoir enfin MA famille pour la vie. J'essaierai d'être parfait pour ne jamais devoir les quitter, propre, obéissant, affectueux, toutes les richesses enfouies au fond de moi, je vais leur offrir en échange de leur amour et de leur protection, au moins je le croyais. 

Mais 15 jours après mon arrivée,  le 2 février 2014, jour de la Chandeleur où toutes les maisons sentent bon les crêpes, où les rires des enfants aux bouches décorées de crème au chocolat, explosent derrière les vitres, lors d'une promenade dans une immense forêt, la "Forêt verte" comme si les arbres pouvaient avoir une autre couleur, ils ont détaché ma laisse confiants en mon obéissance et ma fidélité, mais oubliant cette ivresse subite du plaisir de pouvoir courir, de renifler les odeurs délicates de cette forêt en hiver, de poursuivre les traces d'autres copains éventuels, sautant par-dessus les fougères, m'éloignant des chemins trop fréquentés, ma jeunesse dans les pattes et soudain ... je me retrouve seul, mes maîtres ont disparu, je m'étais aventuré trop loin. La peur, le désespoir m'envahissent brutalement. Où sont-ils ? Où suis-je ? Je tourne en rond en vain, la nuit arrive, Je ne les reverrai plus jamais. M'ont-ils cherché, m'ont-ils vite oublié ? Ce 2 février commençait ma vie de solitude et d'errance, mettant fin à mes rêves les plus fous de bonheur. 




Durant de longs mois dont je n'ai plus vraiment de souvenirs, j'ai dû chercher un chemin, fuir ce lieu plein de dangers, me rapprocher de certains quartiers, des maisons, des cités, trouver un peu de nourriture, frôler de nombreux dangers sur les routes, chercher, toujours chercher une présence, un abri, un repas, rompre cette terrible solitude. C'est 18 km plus loin et un an plus tard que je me suis réfugié dans un petit bois, sans personne, sans chasseurs.



C'est là qu'une dame habitant tout près m'a aperçu très souvent depuis sa fenêtre et a répondu aux messages sur les réseaux sociaux de mon ancienne famille d'accueil, la seule qui m'a certainement aimé mais ne pouvait me garder. Mes photos ont été diffusées en août 2015. 






De nombreuses demandes d'aide ont été faites pour venir me chercher, mais certains m'ont effrayé cherchant avec ardeur et inconscience à m'attraper, d'autres menaçaient de me livrer à la grande faucheuse, moi qui n'avais comme compagnons que des animaux de la faune dite "sauvage", je devais être dangereux ! Et de nouveau plus personne jusqu'à ce mois de mars 2017 où Hélène, présidente d'Appel des lévriers, a été si touchée par mon histoire, qu'elle a tout fait pour que je sois de nouveau un petit compagnon heureux dans une famille. 

Qu'était mon univers, mon domaine, mon lieu de vie où il fallait sans cesse être vigilant, l'hiver lutter contre le froid, l'été contre la chaleur, sans un seul point d'eau, sans nourriture autre que celle trouvée dans la nature, souvent bien maigre pitance ? Un petit bois sur une colline pentue où serpentent en contre-bas des chemins de randonnée surplombant la ville, mais aussi une décharge de matériaux de construction, des monticules de détritus, de pierres, de pavés sur lesquels poussaient des ronces et envahis par les renouées du Japon, desséchées l'hiver, craquant sous les pattes et se dressant comme autant de paravents dès le printemps pour s'épanouir en septembre de multiples petites fleurs blanches. 









Petit à petit la nature s'éveille, le printemps arrive, il faudra se frayer de nouveaux passages.








J'avais au fil du temps rencontré des amis qui égayaient mon triste quotidien, quelques greffiers du quartier et quelques goupils avec qui je pouvais le soir avant la tombée de la nuit partager quelques jeux et les restes de leurs agapes. 



Lorsque le temps était sec, au moindre rayon de soleil je pouvais me reposer sur mes paillasses de fortune, faites de débris de plantes séchées à l'abri du vent ou sur un tas de sable oublié comme moi. 



Aucun humain n'a jamais osé franchir tous ces obstacles pour venir à ma rencontre. Mais qui aurait eu envie de s'approcher d'un petit sauvageon abandonné, même pas d'une race prisée, simple petit croisé sans armure ?

Jusqu'à ce 15 mars 2017, réchauffé par un pâle soleil de fin d'hiver. Une petite étoile s'est mise à briller dans mon ciel obscur. Deux femmes peut être aventurières égarées ont pénétré mon domaine et surprise prononçaient mon nom. Je ne l'avais pas oublié ce nom : Boby. Je n'étais pas "le chien du bois", j'étais de nouveau Boby. Une curiosité me saisit, et de loin, j'ai regardé ces femmes qui m'appelaient doucement. Nos regards se sont croisés et j'ai même osé en contournant l'endroit où elles attendaient assises sur une pierre que je réponde à leur appel, m'aventurer très prudemment pour les observer dans leur dos. Elles sont revenues 2 jours plus tard, avec ce qui allait être "mes choses" : une gamelle pleine de croquettes, une petite bassine avec de l'eau fraîche et des petites saucisses que je pouvais renifler de loin. Et chaque fin d'après-midi la plus âgée des deux venait seule avec son petit sac blanc plein de bonnes choses qui n'étaient que pour moi. Petit à petit je m'approchais d'elle, oh pas vraiment tout près au début, mais elle semblait être une nouvelle amie. Elle me parlait toujours, avec des mots tendres et doux et je me suis mis à attendre sa visite, toujours à la même heure. Elle semblait si heureuse de me voir et j'avoue moi aussi. 





Un jour elle a je crois eu peur pour moi. Je m'étais aventuré dans la rue voisine, il y avait une chienne qui  a voulu courir après moi. Son maître, le mari de la dame aux photos prises de la fenêtre de sa maison, voulant rattraper sa chienne a couru j'ai cru qu'il voulait m'attraper, j'étais paniqué et courait au milieu de la rue, ne sachant où me réfugier. J'ai retrouvé le chemin de mon bois, elle était là, m'attendait. 


Nous avions un petit rituel. Elle remplissait ma bassine d'eau fraîche puis déposait en arrivant quelques knackis sur une pierre qu'elle nettoyait auparavant et dès qu'elle reculait un peu je me précipitais pour déguster ces gourmandises. 



Nous avons choisi un endroit plus tranquille et accessible pour nos rencontres. Elle s'asseyait sur une petite pierre, me lançait des croquettes et ne bougeait plus. Au bout d'un mois, j'ai eu envie de m'approcher un peu plus d'elle et mètre par mètre j'ai fini par me coucher près d'elle, savourant sa présence, mais une petite voix m’empêchait encore de prendre la nourriture qu'elle me proposait dans sa main. 




Mi-avril, dans un élan de courage je suis allé à ses pieds manger directement dans la petite boîte qui contenait ses trésors culinaires. Elle n'a pas bougé, n'a pas cherché à me toucher, je pouvais lui faire confiance et ensuite chaque jour je mangeais au plus près d'elle jusqu'à accepter sa main. Il m'arrivait aussi depuis quelques jours de manifester ma joie de la voir arriver en sautillant autour d'elle, un simulacre de jeu auquel elle participait en riant. Je ne savais pas ce 26 avril que le lendemain j'allais quitter mon bois pour la suivre. 






Jeudi 27 avril, il fait froid, le vent est pénétrant, un vague soleil alterne avec de gros nuages. Il est 17h et elle arrive. Son sac était plus gros que d'habitude. Elle a déployé un plaid tout doux près d'elle, m'a donné des knackis avec un goût presque sucré qui m'ont régalé, je la regardais et le peu de crainte que j'avais a disparu. Je la laissais s'approcher de moi tranquillement. Puis j'ai vu arriver la dame qui l'accompagnait la première fois, mais elle je ne la connaissais pas vraiment et mes craintes sont réapparues. Que me voulait-elle ? Je me suis éloigné, avec beaucoup d'hésitation. Quand cette dame est partie je suis revenu, je me suis installé au pied d'un arbre mort, entre un petit muret et le grand bâtiment de tôles qui claquait au moindre coup de vent. Elle s'est approchée doucement, m'a caressé, mes premières caresses depuis des années, a glissé autour de mon cou un petit collier, mis une laisse et m'a porté jusqu'à sa voiture. Je me suis blotti dans ses bras, sans crainte et nous avons pris le chemin de sa maison. Je pouvais lire mon avenir dans ses yeux. C'était terminé ma vie de Robinson ! 

















4 commentaires:

  1. Bonjour Françoise,

    Une nouvelle aventure ce poursuit avec vous et Boby. Je sais qu'il est entre de bonne main et je sais aussi tous l'amour que vous avez pour lui.

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  2. Bonjour, vous connaissiez Boby ?

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  3. Bonsoir Françoise, magnifiquement bien raconté l'histoire de notre Boby.
    Ravie de le voir si heureux et choyé.
    Maintenant j'espère que le traitement va être efficace pour qu'il puisse continuer de vivre encore longtemps.
    Merci encore pour ce que vous apportez à Boby car il le mérite.
    Amicalement,
    Christine CHIVOT

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